Aöny Solitaire - Chapitre 3

Chapitre 3 : Une rencontre inattendue

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Auteur : Ratchet_Dadou

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Les hommes-lézards avaient abandonné la partie. Pour m’assurer qu’ils ne me tendaient pas un piège, j’avais risqué de sortir ma tête du terrier, mon doigt prêt à appuyer sur la détente de mon pisto-laser. Mais rien ne m’avait sauté dessus. J’avais donc pu sortir du trou. J’avais appris que je pouvais courir plus vite qu’un humain, car tous les habitants d’Olluny y étaient passés, rattrapés par les hommes-lézards. Ces reptiles étaient de grands athlètes, mais avaient si peu d’esprit ! J’avais aperçu Olluny depuis la colline boisée où je me situais : un village paraissant normal jusqu’ici,… mais tellement désert, taché de sang et rempli de cadavres déchirés jusqu’à l’os lorsqu’on s’en approchait.


Je marchais à présent dans la forêt, pleurant en silence la mort de Dave. Dave, ce pêcheur qui m’avait accueillie, parlé et rigolé avec moi si chaleureusement. Il était devenu mon ami… S’il n’avait pas été là, je serais peut-être morte d’épuisement ou de noyade à l’heure qu’il était. Et moi, je n’avais même pas pu le sauver. Je m’en voulais presque autant qu’aux sales lézards et à cette… sorcière qui avait envoyés ! Je la haïssais plus que tout au monde ! Je ne savais pas où était Avariny… Mais il fallait que je survive, que je l’atteigne et que je prévienne ses habitants pour que tout le monde puisse se défendre à temps. Je devais le faire pour Dave, pour qu’il ne fût pas mort en vain. C’était son dernier souhait…
Je parcourais une forêt d’automne. Le sol était recouvert de feuilles mortes qui craquaient sous mes pas. Les feuilles restées aux branches des arbres étaient teintées de rouge, d’orange et de jaune. C’était magnifique. Mais je n’avais pas le cœur à admirer ces merveilles de la nature.


Midi était passé et j’avais presque fini de traverser la forêt. Je n’avais encore rien mangé, rongée par la tristesse. Soudain, j’entendis un bruit de craquements de feuilles mortes répété, comme si quelqu’un courait dessus. Le bruit se rapprochait. Je relevai la tête, qui était baissée jusque-là, et regardai vers sa direction. Je restai ainsi pendant quelques secondes. Puis, tout à coup, trois hommes apparurent et foncèrent vers moi. Je dégainai aussitôt mon pisto-laser. Les hommes s’arrêtèrent brusquement devant moi en freinant. Je pointai mon arme vers eux.

-Qui êtes-vous ? Murmurai-je.

Je n’osais pas hausser la voix, de peur de leur montrer mon tremblement vocal dû à la tristesse.

Ils me regardèrent d’un air un peu stupéfait, puis se calmèrent et l’homme le plus grand, gros et musclé répondit après avoir ri :

-Tu ne devrais pas jouer avec cette arme quand on est là, fillette ! Mais si tu veux savoir qui nous sommes, admire !

Aussitôt, l’homme le plus petit, le plus maigre et le moins musclé fit un petit bond en avant et atterrit devant les deux autres. Il était chauve et avait un petit nez pointu. Il portait une cape, une tenue et des gants noirs. D’une voix enthousiaste il lança :

Qui avance dans la nuit, plus discret qu’une ombre ?
Il n’est pas très costaud, mais possède une agilité incroyable,
C’est lui, l’homme à la cape sombre
Qui soutient avec succès son équipe et la rend imbattable.
Admirez l’espion invisible, l’acrobate imprévisible, Cubitus !


Cubitus, dans un saut arrière que j’admirai sans le savoir, se rangea parmi ses compères. Un autre homme, de taille moyenne, un peu musclé, s’avança à son tour. Il portait une armure standard qui allait jusqu’à lui cacher une partie du visage et un grand bouclier sur lequel était dessiné un poing serré. Il se présenta, comme Cubitus :

Attaquer la base de l’ennemi, c’est toujours une bonne idée.
Mais ne peut-on pas être victime d’une arnaque ?
Il faut un défenseur pour éviter de voir son Q.G. saccagé
Et, comme on dit toujours, la meilleure défense, c’est l’attaque.
Admirez le protecteur de l’équipe au grand bouclier, Radius !


Radius recula lentement, comme s’il était encombré par son bouclier et son armure, puis finalement rejoignit ses compagnons. Puis le plus grand, gros et musclé s’avança vers moi en trottinant pour se rapprocher, puis s’arrêta, sûr de lui. Il avait à peu près une cinquantaine d’années, de longs cheveux et une tenue de fourrure fauve et noir un peu déchirée. Il lança d’une voix grave :

Et voici le meilleur et le plus fort de tous !
Et si quelqu’un l’embête,
Attention, vous en aurez la frousse
En le voyant[…] !


Il s’interrompit aussitôt, l’air d’avoir fait une grossière maladresse, les yeux ronds. Puis il se ressaisit, me fit signe d’attendre de la main tout en me le disant et puis retourna auprès de ses compagnons. Le trio forma un petit cercle. Je pus entendre la discussion. Le grand costaud, énervé, marmonna :

-Mais non, idiots, c’est pas comme qu’il faut faire ! D’abord, c’est moi, le chef, le meilleur, qui me présente.

Il désigna un par un les autres hommes en expliquant :

-Ensuite, tu te présentes, Radius, et après, c’est toi, Cubitus. Je l’ai dit, ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre, ça !

Je regardais la scène, un peu étonnée car elle était inattendue. Ces trois-là étaient vraiment stupides ! Quand Radius et Cubitus avaient fait leur erreur de « présentation », leur chef les avait bêtement suivis et s’en était rendu compte, quand-même, assez tard.

-On aurait peut-être dû répéter un peu plus… fit timidement Radius.

-Bien sûr que oui, espèce d’abrutis ! Haussa le chef.

Je pouvais profiter de ce moment pour partir discrètement et les laisser dans leur discussion pour gagner du temps sur mon voyage, mais la curiosité de voir la suite de cette scène m’empêcha de lever un pied.

-D’accord, dit Cubitus, on va la refaire, Humé…

Paf ! Il se prit une grosse gifle dans la figure de la part du plus costaud, ce qui me fit sursauter légèrement, ne m’attendant pas à une telle réaction.

-Crétin ! S’emporta le chef. Il ne faut pas qu’elle sache nos noms avant notre présentation ! Compris ?!

Cubitus posa sa main sur sa joue frappée, mais il fit un effort pour se tenir bien droit, comme Radius qui l’était depuis seulement une seconde, et tous les deux répondirent en chœur :

-Oui, chef.

Le grand costaud se tourna vers moi – tandis que les deux autres reprirent leur position habituelle – et me dit calmement :

-Désolé pour ce fâcheux contre-temps, petite.

Moi, je restais muette. Il s’avança vers moi en trottinant, comme la dernière fois, et se présenta :

Et voici le meilleur et le plus fort de tous !
Et si quelqu’un l’embête,
Attention, vous en aurez la frousse
En le voyant lui écraser la tête !
Admirez le surpuissant, le beau, le majestueux Humérus !


Humérus se retira et Radius se présenta, puis enfin Cubitus. Ensuite, les trois hommes se rassemblèrent et prirent chacun une pose, fiers et souriants. Humérus, au milieu des deux autres, se tenait debout, jambes écartées, et posait ses mains sur ses hanches, comme pour montrer qu’il était fantastique. Radius, à droite, avait un genou à terre, était à moitié caché derrière son bouclier et veillait à ce que je puisse voir sa tête. Cubitus, lui, était de profil, sauf pour son visage qu’il montrait bien de face, et était debout, pliant un peu un genou et dirigeant son pouce vers le haut. Tous les trois dirent fièrement :

-Nous sommes l’Équipe Incassable !

Puis ils abandonnèrent leur pose. Ma vraie question était : étaient-ils amis ou ennemis ? Je voulais continuer mon chemin sans personne. Je leur demandai avec une voix plus assurée, baissant un peu mon pisto-laser :

-Qu’est-ce que vous me voulez ?

-Eh bien, raconta Humérus, sûr de lui, Yrisha nous a envoyés ici. Contrairement aux autres, tu as échappé aux reps. Yrisha ne veut voir aucun survivant, alors désolé mais nous devons te tuer.

Je compris que les reps étaient les immondes hommes-lézards qui avaient dévasté Olluny. Peut-être qu’Yrisha était la femme en tenue violette. Je n’eus le temps de ne rien répondre qu’Humérus lança :

-Attrapons-la !

Aussitôt Cubitus fit un bond gigantesque pour me retomber dessus, mais j’esquivai en faisant une roulade de côté. Je tirai sur lui avec mon arme. Mais Radius se mit rapidement entre lui et moi et bloqua mon tir avec son très grand bouclier.

-Hi, hi, hi ! Bien joué, Radius, fit l’homme agile.

Je fus un peu stupéfaite, mais restai calme. Comment en venir à bout ? Il semblait que Cubitus attrapait, que Radius protégeait et qu’Humérus cognait. Le chef fonça vers moi pour me massacrer. J’esquivai en me déplaçant sur le côté. Il n’eut pas le temps de changer de direction ; son puissant élan l’entraîna vers une pente raide. Au bord de la chute, il battait des bras pour tenter de se redresser – car il était très penché en avant. Comme cela fut en vain, il appela :

-Aidez-moi, abrutis !

Plus personne ne se souciait de moi, à présent. Cubitus, très agile, fut le plus rapide. En un seul saut, il arriva tout près d’Humérus, tandis que ce dernier était en train de tomber. Il prit son chef par le bras et tira de toutes ses forces en arrière. Mais, n’ayant pas beaucoup de muscle, il allait lui aussi tomber, entraîné par le plus costaud.

Alors qu’ils allaient tous les deux tomber, Radius, qui avait couru aussi vite que le lui avait permis ses jambes, son lourd bouclier et son armure, arriva, attrapa la cape de Cubitus et tira lui aussi en arrière, ce qui manqua étrangler le maigrichon. Mais il ne put hisser ses camarades car son bouclier l’interdisait d’utiliser ses deux bras. Quel idiot ! Il aurait pu lâcher ce bouclier. Non seulement cela lui aurait permis d’arriver plus vite, mais aussi de sortir ses compagnons de ce mauvais pas en utilisant plus de force. Serait-il amoureux de son bouclier ?

Les trois hommes dégringolèrent alors, roulèrent à une folle vitesse tout le long de la pente et se cognèrent contre le pied d’un arbre. Avec les trois poids additionnés de leur corps, le pied de l’arbre se cassa et le tronc tomba sur le trio. Humérus et Radius se retrouvèrent sur le dos, tandis que Cubitus, le plus éloigné du pied, était sur le ventre. Si Cubitus était plus proche des racines, il aurait pu passer sous le tronc et se relever. Ils étaient coincés.

Je marchai vers la pente et m’arrêtai tout au bord, observant l’équipe K.O.. Je les vis alors tels que je les ai décrits. En me voyant, Humérus, en colère d’avoir perdu si bêtement contre une fille, me cria :

-Viens ici, espèce de gamine !

Je mis mes mains sur mes hanches et souris en les regardant, toute fière. Sachant malgré ma mémoire que l’humérus est l’os du bras et le radius et le cubitus les os de l’avant-bras, je lançai au trio :

-Vous vous nommez l’Équipe Incassable, non ? Eh bien moi, je trouve qu’on devrait vous appeler l’Équipe de Bras Cassés !

Tandis que je me retournai et courai en continuant mon chemin, j’entendis le chef grogner er grommeler des mots inaudibles à cette distance.

« J’admets qu’ils ont de belles capacités physiques, » me dis-je, « mais ils n’ont pas beaucoup de cerveau ».



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