Aöny Solitaire - Chapitre 4

Auteur : Ratchet_Dadou

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Je parvins à quitter la forêt en une heure. Hors des touffes d’arbres sombres, j’aperçus un village, ou peut-être une petite ville. Elle semblait un peu plus grande qu’Olluny, ne se trouvait pas aussi près de la mer et était derrière un bon nombre de champs. Je soufflai comme par soulagement. Ce n’était sûrement pas Avariny, mais c’était signe que j’avançais dans mon voyage. Je pouvais toujours questionner les habitants pour savoir où se situe vraiment la ville multiple et si j’allais vers la bonne direction.


Je continuai mon chemin, passant par un des petits sentiers de terre qui séparaient les champs proches de la ville. Je descendis au fur et à mesure de la colline. Il semblait que chaque paysan était si concentré sur son travail que personne d’entre eux ne me remarqua. Je n’intervins pas car j’avais prévu de parler aux gens une fois dans la petite ville.

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J’y arrivai enfin après quelques minutes. Les maisons étaient en pierre et un peu plus grandes qu’à Olluny. Les routes étaient très larges, pouvant faire passer des chariots.

Je crus un instant que les habitants n’étaient que ce qui semblait être des asfards. Je pensai alors que j’aurais du fil à retordre en arrivant dans une ville isolée. Allait-on croire mon histoire ? Comment m’accueillerait-on, vu que je n’étais pas de leur espèce ? Je fus soulagée en apercevant aussi des humains et d’autres gens y ressemblant, mais avec la peau beaucoup plus pâle, les cheveux blancs et les yeux bleus.

Un asfard s’approcha de moi. Il avait des cheveux noirs, une peau un peu foncée, un regard sombre et une cicatrice près de l’œil droit.

-Que veux-tu, étrangère ? Me demanda-t-il. Si tu ne fais que passer, je te conseille de contourner les villes que tu croiseras.

-Je dois parler à votre chef, répondis-je calmement. C’est vraiment très important.

Les habitants de cette ville ne semblaient pas encore savoir ce qui était advenu d’Olluny, sinon l’asfard ne m’aurait pas invitée à le suivre. Il allait me conduire à son chef. Nous parcourûmes sans mot dire les petites rues où seuls pouvaient passer les gens à pied. Lors de ce trajet, je sentis des regards se poser sur moi et je vis des têtes se tourner légèrement vers ma direction. J’aperçus même une petite fille asfarde me fixer curieusement en tenant toujours la main de sa mère et lui soufflant des mots. J’imaginai alors que je devais passer pour une totale étrangère, voire une drôle de créature.

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Nous arrivâmes enfin devant une très grande maison de pierre. Elle avait au moins trois étages et, quand on la voyait d’un des côtés de la longueur, elle avait au moins huit fenêtres par étage.

L’asfard appuya sur une sorte de petit bloc de pierre qui s’enfonça dans le mur et disparut. Il souffla :

-Chef Hel, une étrangère d’espèce…

Il me lança un regard signalant qu’il voulait savoir le nom de mon espèce. Je lui fis signe que je ne savais pas. Il finit par laisser tomber, croyant que je ne voulais rien lui révéler, et continua :

-… d’espèce inconnue veut vous parler.

Au bout de quelques dizaines de secondes, le bloc de pierre revient avec une voix grave qui répondit :

-Je ne veux voir personne. Je suis occupé.

Je fus sidérée. L’asfard poussa le bloc à nouveau en disant :

-Elle dit que c’est vraiment très important.

Pendant les quelques instants qui séparaient l’envoi du bloc et la réponse du chef, me voyant impressionnée par un tel système de communication, l’homme me dit, tout fier :

-Fascinant, n’est-ce pas ? Nous, les asfards, connaissons quelques tours de magie. Avec l’un de nos petits pouvoirs, nous emprisonnons notre message dans cette pierre qui se déplace grâce à un mécanisme dans les murs.

Juste après, le bloc revint avec la phrase suivante :

-Très bien. Faîtes-là venir, Rok.

-Tu vois ? Fit Rok comme si j’étais sceptique.

« C’est sympa », me dis-je.

La porte du bâtiment s’ouvrit automatiquement, elle aussi par un mécanisme. L’asfard entra ; je le suivis.

« Le monde change si vite… » pensai-je comme pour un peu rigoler.


Nous nous retrouvâmes dans grande pièce. Le sol était fait avec de la pierre blanche, comme du marbre, et les murs étaient recouverts de tableaux représentant toutes sortes d’images : des animaux, des paysages,… Un grand escalier de bois se dressait devant nous. Rok l’emprunta et je fis de même. Arrivés à une porte, l’escalier se séparait en deux directions : à notre gauche et à notre droite. Rok ouvrit la porte devant lui et nous entrâmes dans une autre pièce beaucoup plus petite. Il n’y avait qu’une seule fenêtre cachée par des rideaux. Au centre se trouvait celui qui était le chef de cette ville. C’était un grand asfard aux cheveux noirs. En le voyant, je compris pourquoi il avait dit qu’il était occupé. Et même si j’avais su que je le verrais ainsi, je serais quand-même venue ici car c’était une question de vie ou de mort. Aussi inattendu que cela fût, il se trouvait nu dans une baignoire en bois remplie d’eau. Il était en train de prendre un bain ! En m’apercevant, il eut l’air intéressé. Il murmura :

-Mais de quelle espèce viens-tu, toi ?

Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il dit à Rok :

-Vous pouvez disposer. Je veux parler avec elle en privé.

L’asfard à la cicatrice salua le chef et sortit de la pièce. Dès que j’entendis la porte se refermer, je me sentis gênée de me trouver seule à côté de quelqu’un qui prenait son bain. Rok, lui, ne semblait pas s’être étonné, comme s’il en avait un peu l’habitude. Moi, je n’aimerais pas qu’on vienne chez moi alors que je suis dans ma baignoire, même si j’étais prévenue.

-Je suis Senno Hel, chef d’Eram. Qu’est-ce qui t’amène en cette ville ?

Gênée, je lui tournai le dos et me dirigeais vers la porte en m’excusant.

-Désolée de vous avoir dérangé. Vous me direz quand vous pourrez me recevoir.

-Attends, m’arrêta-t-il. Si tu as quelque chose à dire, parle maintenant.

Je revins alors vers lui. Je trouvai qu’il avait raison. Si je ne lui racontais pas tout immédiatement, la méchante femme et ses maudits reps risqueraient de massacrer tous les habitants sans qu’ils ne fussent prévenus, et la scène à Olluny se répèterait. Je pris donc une grande inspiration et commençai :

-Heu, cela paraît bien incroyable, mais vous courez tous un grave danger.

-Un grave danger ? Répéta Senno. Raconte-moi tout.

Je lui racontai ma perte de mémoire, qu’un pêcheur m’avait accueillie dans son village, Olluny, l’arrivée de la femme en tunique violette et des reps, ma fuite et enfin de ma nouvelle mission. Je ne précisai rien sur Dave et ne dis mot de l’ « Équipe Incassable ». Pendant que je décrivais le drame d’Olluny en n’épargnant que peu de détails, des larmes se mirent à rouler sur mes joues et ma voix se brisait.

-Et elle risque de recommencer si vous ne vous rendez pas, finis-je. Il faut prévenir Avariny.

-Tu viens d’Olluny et tu as traversé la forêt de Syrron, dit le chef, en ce moment très sérieux et très concentré sur le récit. Tu te diriges vers l’Ouest, ce qui est la bonne direction. Je vais envoyer des éclaireurs à ce village pour avoir la preuve de la réalité de cette histoire. Si ce que tu dis est vrai, nous allons en mission. Mais si tu as inventé, nous te renverrons chez toi ou nous te garderons ici en veillant à ce que tu ne dépasses pas certaines frontières.

Je ne versais plus de larmes, mais mon visage était encore mouillé.

-Nous ne pourrons pas attendre si longtemps, avertis-je, sinon cette sorcière nous aura tous tués avant le retour des éclaireurs !

-Ils reviendront demain à l’aube, insista Senno, ferme. C’est le plus rapide que je puisse faire.

-Vous devez agir maintenant, haussai-je, maintenant ! Ne laissez pas Yrisha gagner aussi facilement !

L’asfard parut soudain frappé. Il se tut quelques secondes, comme stupéfait, puis me demanda doucement :

-Tu as dit « Yrisha » ?

-Heu, je crois que c’est le nom de cette sorcière, murmurai-je.

Il en parut stupéfait. Il était sans voix et avait le regard dans le regard dans le vide. Il savait quelque chose, c’était sûr. Et il me fallait le savoir à tout prix.

-Qu’y a-t-il ? Demandai-je. Qui est cette Yrisha ?

Senno reprit son air habituel et ajouta sans répondre à ma question :

-Tous ceux qui ont connu cette maudite ont toujours eu des ennuis avec elle. Il est impossible de savoir son nom sans en tirer un mauvais souvenir.

Les deux mots « mauvais souvenir » me rappelèrent encore plus vivement les horreurs causées par ces impitoyables reps à Olluny. Effrayée par ces visions, je luttai pour chasser ces horribles pensées.

-Personne n’a jamais plaisanté en la mentionnant, continua le chef. Je vais donc te croire sur parole pour cette histoire. Tu peux disposer. Je dirai à Neli de te montrer où tu vas dormir cette nuit. Demain, je donnerai les ordres que tout le monde devra suivre à la lettre, ou ce sera la fin d’Eram.

-Mais qui est-elle ? Insistai-je.

-Je t’expliquerai tout cela plus tard, quand nous en aurons le temps. Tu peux disposer.

Il disait dans ce cas toujours « tu peux », mais en réalité, c’était un ordre. Je dus donc sortir. C’est ce que je fis. Je trouvais que Senno avait raison : si on discutait d’Yrisha à la place de tenter de se défendre, c’était la mort assurée. Le temps pressait. Il fallait faire vite.

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Une fois à l’extérieur, je ne savais pas vraiment où aller. Ce Neli ne devrait pas tarder à arriver. Je pensais, vu le nom, qu’il devait lui aussi être un asfard. Mais en attendant, je voulais retrouver Rok. Je n’avais aucune amitié avec lui. Je voulais seulement qu’il me guidât dans cette ville inconnue. Je me lançai donc, sans angoisse, dans la foule asfarde, humaine et autre.

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Quelques heures étaient passées et Rok ne s’était pas montré. La nuit allait bientôt tomber.

« Encore du temps perdu… » pensai-je avec tristesse, me sentant coupable, « Demain, Yrisha et ses reps vont sûrement venir et tout dévaster… Ou même cette nuit… J’aurais dû convaincre le chef d’agir à la seconde près ! Je ne suis qu’une pauvre idiote, je ne suis pas digne de Dave… ».

Que faire à présent ? Partir ? Ce serait de la lâcheté. Rester ? Ce serait la mort. Une voix soudaine derrière moi, qui me fit sursauter, me lança :

-Aöny Solitaire, c’est vous ? Je vous cherchais. Je suis Neli.

Je fus étonnée du vouvoiement, car tout le monde m’avait tutoyée depuis la perte de ma mémoire. Je me retournai et vis un adolescent d’à peu près mon âge à la peau claire, aux longs cheveux blancs et aux yeux bleus. Il s’approcha de moi. Une fois près de moi, je lui demandai :

-De quelle espèce es-tu, Neli ?

Je le tutoyais car je vouvoie toujours les adultes et tutoie toujours les enfants et les adolescents.

-Je suis un argent, me répondit-il. Venez. Je dois vous montrer votre chambre.

J’acceptai l’invitation et le suivis parmi la foule. Le nombre de gens augmentait la facilité de perdre Neli, mais je tins bon.

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Nous arrivâmes enfin là où vivait l’argent. C’était une toute petite maison de pierre qui avait l’air de n’avoir qu’une seule pièce et à moitié en débris. Neli ouvrit la porte abîmée qui ne tenait presque plus debout.

-Venez. Je vis ici avec ma petite sœur.

-Et tes parents ?

-Nous n’avons jamais eu de parents.

Je fus désolée pour ce jeune garçon et sa petite sœur. Ils avaient si gentils et si malheureux. S’il mourrait par ma faute, je ne me le pardonnerais jamais.

La maison n’avait en réalité que deux pièces et les lits n’étaient que des tapis et des couvertures à moitié déchirées sur le sol. À part ça et quelques objets par terre, la maison était vide. Une petite fille de cinq ans dormait sur un des lits. Elle avait une petite robe bleue un peu déchirée. Mais comment vivaient-ils, tous les deux ? Neli me montra un troisième lit et me chuchota pour ne pas réveiller la petite argente :

-J’ai installé ce lit pour vous. Je sais que ce n’est pas très confortable, mais je pense qu’après ce que vous avez vécu ce n’est pas ça qui va vous déranger.

-Comment sais-tu ce que j’ai vécu ? Demandai-je, étonnée.

-Le chef de la ville m’a dit que vous aviez vécu un drame aujourd’hui.

Je baissai la tête, attristée. Mais je me demandai soudain pourquoi Senno m’avait fait envoyer ici et non ailleurs, doutant qu’il ne voulait pas partager son luxe. Je relevai alors la tête et chuchotai à Neli :

-Pourquoi votre chef veut-il que je dorme ici, et pas ailleurs ?

-Je lui ai demandé la même chose ; il m’a répondu que tout le reste de la ville est complet.

-C’est stupide, murmurai-je, ne croyant pas un mot de l’asfard, mais le jeune garçon n’entendit pas ces mots.

-Je vais me coucher. Passez une bonne nuit, Aöny Solitaire.

Il se coucha sur son lit et se mit sous sa couverture. Je fis ensuite de même. Au début, l’inconfortabilité du lit m’empêchait de dormir. Mais peu à peu, le sommeil me gagna.

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Le lendemain, la plupart des hommes de la ville, ceux qui savaient se battre, était réunie devant le chef d’Eram, sur la place du marché. J’étais parmi eux. Toute la ville était désormais au courant du danger pouvant survenir à n’importe quel moment. Senno nous annonça à tous :

-Guerriers d’Eram, nous savons maintenant qu’une menace se prépare dans notre pays grâce cette jeune fille, Aöny Solitaire, seule rescapée du drame d’Olluny. Or, Olluny n’était ni avertie, ni préparée à ce qu’elle allait affronter. Mais nous avons la chance de prévoir une attaque semblable. La plupart d’entre vous resteront dans la ville pour la défendre. Je vous dirai ce que vous devrez faire une fois sur place. Une vingtaine d’entre vous partira pour Avariny et accompagneront Aöny si tel est son désir. Pour avoir plus de chances d’atteindre la capitale, votre groupe de séparera en trois : un tiers contournera les collines Herber par le Nord, un tiers passera par les villes, isolées comme multiples, pour les avertir du danger, et le dernier tiers traversera la forêt Equinox puis les Plaines du Tonnerre avant de longer la mer. Ainsi, si nos nouveaux ennemis repèrent l’un des groupes et que celui-ci ne peut plus continuer le voyage, les deux autres pourront atteindre discrètement Avariny. Mais je ne peux pas promettre que nous réussirons. Tout dépend de vous.



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