Raven - Chapitre 5

Auteur : gag_jak

Date:
Comments: 0 commentaire
Views: 262 vues

—————-
Chapitre 5
—————-

« Le temps s’écoulait toujours. Laissant filer entre ses mailles d’innombrables semaines et quelques mois. Après l’opération, je me servis du pouvoir seulement pour effrayer ma mère. C’était amusant, et cela ne la dérangeait nullement. En fait, elle semblait ravie que je m’amuse ainsi.
J’étais vraiment heureux ces temps-ci. Ma vie était belle. Voire magnifique. Je ne pouvais rêver mieux. Mais cette vie paradisiaque était loin de durer. A mon grand malheur.

J’avais treize ans depuis quelques mois lorsque ce matin arriva. Le matin de ce jour fatidique. Un matin pourtant calme, envahi par la douce chaleur du soleil levant. La journée s’annonçait magnifique. Tout semblait normal, à priori, rien n’aurait pu changer les habitudes que nous avions dans notre famille.
Comme chaque matin, après m’être levé, je me dirigeai vers la table où nous prenions le petit-déjeuner. Mes parents étaient déjà à table et mangeaient ensemble.
Très vite, en m’asseyant, je compris que quelque chose n’allait pas. Ils ne m’avaient rien dit, or, à l’accoutumée, ils me bombardaient de questions simple du genre : « Ca va ? Tu as passé une bonne nuit ? ». Mais ce jour-ci, ils ne m’adressèrent même pas un regard. Enfin bon, ça ne m’inquiétait pas plus que ça…
C’est alors que, en regardant mes parents, je vis que leurs regards s’entrecroisaient. Ils se fixaient sans relâche. Quoi de plus normal pour un couple ? Mais cependant, ce n’était pas des regards amoureux qu’ils se lançaient. Non, ceux-ci étaient noirs. C’était des regards véritablement haineux. Ils devaient s’être fâchés. Pourtant, cela n’arrivait jamais. Il se passait quelque chose. Mieux valait que je me fasse discret…
Mon idée sur la journée changea aussitôt : elle s’annonçait difficile. Et j’avais raison. C’est dingue comme des fois c’est triste d’avoir raison…

Dès que j’eus fini de manger, je sortis de table. Aussitôt, mes parents se levèrent également en un synchronisme parfait. Ma mère tourna les talons et partit dans une pièce, pour vaquer à ses occupations. Mon père, avec une télécommande, activa le robot nettoyeur qu’il avait conçu pour qu’il débarrasse la table. J’avais pas mal grandi ces temps-ci, j’avais seulement une tête de moins que lui. Il se dirigea vers moi :

- Raven, aujourd’hui, tu ne feras rien d’autre que de t’entraîner à la vitesse.

Je lui répondis d’un ton faussement joyeux. Cette éventuelle dispute me faisait réfléchir.

- Ok. Je me prépare et j’y vais.
- Tu fais d’impressionnants progrès à une vitesse incroyable, enchaîna-t-il. Je n’aurai jamais cru cela mais, d’ici deux ou trois ans, je pense que tu seras aussi fort que moi.

Cette nouvelle m’emplit de fierté. Mais elle disparut aussitôt pour laisser place à mes autres pensées. Je n’en pouvais plus. Aussi, je tentai le coup.

- Que se passe-t-il entre Maman et toi ?

Il tourna deux secondes la tête, comme pour réfléchir à ce qu’il allait dire, puis, il se retourna :

- Rien de grave. Rassure-toi. Ça va s’arranger. Je te le promets…

J’acquiesçai avec sincérité et partis me préparer à courir. Tout allait bien se passer ! Toutes les promesses que mon père m’avait faites avaient été respectées jusqu’à maintenant. Alors pourquoi ça changerait ? Si je devais avoir confiance en une seule personne dans l’univers, ce serait en lui. C’était vraiment quelqu’un de formidable.
Une fois prêt, je sortis de la maison. Au passage, je croisai mon robot, terminé depuis déjà deux semaines. J’en étais très fier. Ces dix mètres d’acier et de titane fonctionnaient simplement par reconnaissance vocale. Mon père avait trouvé l’androïde tellement génial qu’il avait décidé de me l’acheter pour la somme démesurée d’un million de boulons. Je voulais le lui offrir, mais il avait insisté pour payer : « Ne fais de cadeaux à personne, essaie toujours de te procurer de l’argent. Tu en auras toujours besoin. Où que tu sois ». Ces boulons avaient été transférés directement sur un compte à Métropolis.

Posté devant la maison, je regardai longuement au loin, en direction de la ville. Nous habitions à cent mètres d’elle. C’était bon d’être isolé ainsi. Je fixai toutes ces rangées de maison correctement organisées, toutes ces rues qui s’entrecroisaient, et tous ces buildings rasant le ciel de leur affreuse couleur noire. Je n’ai rien contre le noir, d’ailleurs, les vêtements que je porte sont tous en majorité noirs ; mais la couleur de ces bâtiments était horrible et gâchait vraiment le paysage. Tout comme le reste de cette immense ville. Le regard que je posais sur elle était ce qu’il y avait de plus dédaigneux au monde. Elle était ce pour quoi j’avais le moins d’estime. Les gens qui y vivaient m’avaient jeté en se basant sur des préjugés. Je voulais ne plus jamais y aller. Plutôt crever que d’y poser encore une seule fois les pieds !

Sortant brusquement de mes pensées, je partis en direction du bois menant au lac. Mon dernier record de vitesse était de deux cent quatre-vingt cinq kilomètres par heure ; je tenais ce rythme pendant une trentaine de secondes. Ok, ce n’était pas beaucoup… Mon père, lui, tenait cette vitesse pendant au moins trois ou quatre minutes. Mais il fallait vraiment que j’arrête de comparer mes exploits avec les siens ! Sinon, je n’aurai pas fini de me rendre ridicule. C’était absolument normal qu’il soit plus doué que moi. Il était plus vieux et largement plus entraîné… je n’avais pas à m’inquiéter. Dans deux ou trois ans, je serai aussi fort que lui, il l’avait dit. Et j’y croyais dur comme fer. Ou du moins, je me forçais à y croire. Pour me le prouver, je devais à tout prix pulvériser mon ancien record ! J’y étais obligé…
Sur ma montre était installé un compteur pour que je sache ma vitesse maximale. Sitôt les derniers réglages effectués, je partis en courant à toute allure.
Je courus ainsi toute la journée, ne m’arrêtant que quelque fois pour manger ou reprendre mon souffle quelques secondes. C’était un rythme haletant qu’aucun être vivant normalement constitué ne pouvait tenir sans mourir d’épuisement. Mais qui a dit que j’étais normalement constitué ?

Lorsque, épuisé, je rentrai chez moi tard le soir, ma montre affichait pour vitesse maximale trois cents kilomètres par heure et des poussières. Objectif réussi ! Mon record était battu ! J’en sautais de joie ! D’accord, j’aurais pu mieux faire…. Mais il ne fallait pas que je me mette trop la pression non plus… En tout cas, j’étais pressé d’annoncer à mon père que j’avais encore progressé !
Et c’est pour cela que je rentrai chez moi surexcité ce soir là. Mais ce qui allait ce dérouler sous mes yeux n’était pas ce à quoi je m’attendais. Loin de là… D’ailleurs, comment aurais-je pu m’y attendre ?

Il devait être onze heures du soir. J’ouvris la porte en douceur car, quelque fois, ma mère sommeillait déjà à cette heure. Je fis quelques pas lentement, en me demandant si la situation de ce matin s’était arrangée. Je tâchais de ne pas m’inquiéter. Il avait promis.
Soudain, j’entendis des voix provenant de la cuisine. C’était les voix de mes parents. Ces voix étaient calmes. C’était bon signe ! Si mes parents discutaient calmement, alors c’était que tout était réglé !
Quelle illusion puérile…
J’étais dans le couloir qui donnait sur la cuisine. Et, me rendant invisible en faisant gaffe à ne pas faire de bruit, j’écoutais. D’un seul coup, ils se mirent à se crier dessus. Merde. Mes prévisions étaient foireuses. Une idée me traversa l’esprit. Et s’ils se quittaient ? Je ne supporterais jamais ça ! Être obligé de vivre séparément des deux personnes que j’aimais le plus au monde me semblait plus qu’horrible ! Non ! Il ne fallait pas que ça se passe comme ça ! Je devais rétablir la situation. Donner mon avis en tant qu’enfant. Oui, tout allait s’arranger…
Du moins, c’était ce que je pensais…

Je franchis le seuil de la cuisine. La vision qui s’offrait à moi transforma à jamais mon existence. Mes parents se faisaient face. Ils ne m’avaient pas repéré. Logique, j’étais invisible. Peut être aurait-il mieux fallu que je ne le sois pas… Qui sait ?
Doucement, mon père brandit en direction de ma mère une arme de gros calibre. Une arme effrayante. Diaboliquement effrayante. Il esquissa un sombre sourire et dit d’une voix calme et sereine :

- Adieu.

Ma mère, toujours calme, murmura quelque chose d’inaudible en amorçant un sourire fat. Mon père ne montra aucune attention à son égard, et, joignant le geste à ce qu’il venait de dire, appuya sur la gâchette en une détonation assourdissante. Mon cœur loupa un battement. La balle déchira l’air avant de venir se figer entre les deux yeux de ma mère, en une terrible pluie de sang. Et comme ci cela ne suffisait pas, mon paternel courut dans sa direction et, à l’aide de l’épée en diamant qu’il m’avait offert, trancha nettement sa tête avant que le corps ne touche le sol.
La tête rebondit par trois fois. Le sang de ma mère se répandait de plus en plus sur le sol. Maculant ainsi le sol à l’ordinaire propre d’une abominable couleur rouge. Oui, rouge. Je voyais la couleur car je mettais rendu visible juste au moment de l’acte décisif. Mon paternel fixa le cadavre en marmonnant :

- Tu l’auras voulu…
- Non !!

Ce « non », c’était moi qui l’avais prononcé. Ou plutôt gueulé. Ce cri était empli d’une détresse profonde. Mon père se retourna et remarqua ma présence. En voyant mes yeux gorgés de larmes, l’expression de son visage se changea en de la crainte. Il devait avoir peur de ce que je pouvais penser. Et il avait raison de s’inquiéter.

- Raven… souffla-t-il.

Mais il ne put continuer à me parler. Pas parce qu’il ne le voulait pas, mais parce qu’il ne le pouvait pas. Pris à la fois par la panique et par la tristesse, j’étais sorti de la maison en courant.
Je n’y croyais pas. Mais alors pas du tout ! Je devais sûrement cauchemarder ! Oui ! Je rêvais ! C’était ça l’explication ! Tout était imaginaire… Mais même si je ne faisais que de me répéter cette idée, je n’y croyais pas non plus. Tout avait été trop réel pour que ce soit simplement le fruit de mon subconscient.
Au loin, j’entendis mon père qui hurlait : « Reviens ! Tu ne peux pas comprendre ! ».
Je ne pouvais pas comprendre ? En effet, je ne comprenais rien. Mais je n’avais pas envie d’entendre des explications. Je n’étais pas prêt à affronter la réalité. Quelle qu’elle soit.
Décidant de l’ignorer, je bondis sur la moto qui était garée dans l’allée conduisant à la maison. Je mis en route le moteur et partis en trombe pour aller… pour aller où d’ailleurs ? Je choisis sans réfléchir la première destination qui me vint à l’esprit : la ville. Oui je sais, j’avais juré un peu plus tôt dans la journée de ne plus jamais y retourner. Je ne savais pas pourquoi, mais je pensais y trouver refuge.
Je n’avais toujours pas réalisé ce qui venait de se dérouler sous mes yeux. Ma mère était morte ! Et l’assassin était mon père ! Mon père, je n’éprouvais pour lui que de l’admiration et du respect. Mais pourquoi ? Bordel ! Pourquoi avait-il fait ça ? L’admiration que j’avais pour lui se changea peu à peu en du dégoût. Du dégoût envers ce monstre qui avait commis cet acte abominable et irréparable. J’avais envie de crever. D’ailleurs, j’étais sûrement en train de mourir intérieurement. Tant de pensées se bousculaient dans ma tête que j’avais bien l’impression qu’elle allait exploser.
Le seul sentiment qui arrivait à égaler ma tristesse était sans conteste la peur. J’étais perdu, je ne savais pas quoi faire. C’était cette même peur qui m’insufflait en ce moment une grande dose d’adrénaline. Et c’était sûrement grâce à elle que j’arrivais à penser convenablement, ou presque.

La lumière des réverbères se posa sur moi tandis que j’entrai dans l’avenue principale de la ville. La moto ne survolait le sol que de quelques centimètres. Je n’avais pas envie de conduire dans les airs. Le champ de force permettant au véhicule de tenir en lévitation projeta les détritus se trouvant sur mon passage. Je ne conduisais que par l’instinct, je ne regardais presque pas la route tellement j’étais plongé dans mes pensées. Bien que cela me torturait, je ne cessais pas de me repasser la scène à laquelle je venais malgré moi d’assister. Des larmes se mirent à couler lentement sur mes joues. Jamais je ne mettais senti aussi malheureux. Comment cette journée pouvait-elle être pire ?
La réponse arriva bien plus rapidement que je ne l’aurais cru.

Soudain, j’aperçus quelque chose en plein milieu de la route. C’était une sorte de petite boite noire. Je ne lui prêtai que peu d’attention, c’était sûrement un des nombreux détritus jonchant le sol. Le champ de force allait la balayer, comme les autres. Je n’avais nullement besoin de l’éviter.
Mais j’aurais dû.
Je suis passé au dessus. Sur le coup, je n’avais pas trop compris ce qui se passait. En tout cas, au moment pile où le véhicule survola la petite boite, j’entendis une forte déflagration et je sentis une douleur effroyable. C’était comme si je m’étais pris une tonne de rochers dans le dos et dans le thorax ; j’en eus le souffle coupé.
La boite avait explosé. Je fus aussitôt éjecté de la moto. Heureusement, je réussis à ne pas trop me blesser à mon atterrissage. La carcasse en feu de mon véhicule me dépassa dans d’incroyables tonneaux. Haletant, je restai accroupi à quatre pattes pendant quelques secondes. Juste assez pour analyser la situation. Ce putain de truc n’aurait jamais du exploser ! Encore moins à mon passage ! Que se passait-il ?
Je compris un dixième de seconde plus tard. La boite noire était en réalité une mine destinée à exploser au moment où quelqu’un passerait juste au dessus. Et ce quelqu’un, ce fut moi. On m’avait tendu un piège. Enfin, il ne m’était pas particulièrement destiné. J’ai juste manqué de bol. Une fois de plus.

J’entendis les pas d’un homme se dirigeant vers moi. Je me sentais bien trop faible pour fuir, ou encore me défendre. Si c’était celui qui avait tendu le piège, j’étais à sa merci.
Et c’était bien lui.
Il m’attrapa au niveau de la nuque et m’entraîna avec lui, jusqu’à une sombre ruelle qui rendait l’obscurité de la nuit encore plus angoissante. L’homme me plaqua contre le mur. Il était plus grand que moi, et plus large aussi. C’était un Thug. Il me sourit d’un air mauvais, il m’effrayait vraiment. Et pour ne pas arranger les choses, il sortit de derrière son dos une grande épée, bien aiguisée. Il posa le plat de sa lame sur mon cou.

- Alors ? lança-t-il d’un ton plein de sarcasme, mon piège t’as plu ?

Je ne savais pas ce qui allait se passer. De toutes façons, cela ne m’enchantait pas vraiment. Il était clair qu’il n’allait pas m’inviter à boire le thé. Trop d’événements s’étaient déroulés cette nuit là, et bien trop rapidement. Mes nerfs, bien qu’ils soient d’habitude assez résistants, craquèrent subitement : je fondis en sanglot. Je n’en pouvais vraiment plus. On m’avait déjà assez poussé à bout pour la journée, et même pour l’année. Je ravalais mes chaudes larmes avec détresse.

- A ce que je vois, fit le Thug avec mépris, tu n’es qu’un pauvre con incapable de se défendre. Tu me fais pitié.

Ce type n’avait vraiment pas de cœur. Il ne pouvait pas savoir ce que je venais d’endurer. Après ça, n’importe qui aurait vu ses nerfs voler en morceaux. Mais il n’en avait rien à foutre de moi et de ma vie. Ce qu’il voulait, c’était m’agresser, et, bien que j’en devinais la raison, je ne savais pas encore pourquoi. Il me frappa puissamment dans le ventre, ce qui me plia en deux. Succombant à la douleur, je fus obligé de m’allonger sur le sol froid et mouillé. Le Thug parut encore plus énervé, si bien qu’il m’envoya un coup de pied. Quel salaud, ce type.

- Relève-toi ! ordonna-t-il. Tout de suite ! Et donne moi tout ce qui sur toi a de la valeur.
- Je suis désolé, sanglotai-je, je n’ai rien…
- Menteur ! Ton véhicule doit coûter une fortune ! Tu as du fric et tu vas m’en donner ! Et vite !

Il s’énervait tout seul, l’imbécile. Enfin, je ne sais pas si je peux traiter d’imbécile quelqu’un qui me menaçait et qui pouvait m’aplatir à tout moment. Il savait que je ne pouvais rien faire contre lui, et il en profitait… Sans plus attendre, il agrippa le col de ma veste, me releva, et me plaqua à nouveau contre le mur. Il aboya :

- Donne maintenant ou je te tue !

De nouvelles larmes de détresse coulèrent sur mes joues. Il ne comprenait pas ce que je lui disait ou quoi ? Il prenait un malin plaisir à me tabasser.

- Je n’ai rien, me désespérai-je, je vous l’ai déjà dit.

Il m’adressa un regard encore plus noir qu’avant. Il me décrocha son poing en pleine mâchoire, m’obligeant à cracher du sang. Pas de doute, il avait de la force.

- Donne ! Ne m’oblige pas à t’étriper !

Je n’avais même plus la force de lui parler. De toutes façons à quoi bon ? Il ne m’écouterait pas. J’ai donc gardé le silence. Le Thug attendit un peu avant de pousser un cri de rage. Il recula son épée, mettant toutes ses forces dans son futur mouvement. Il cria :

- Tu l’auras voulu !!

« Tu l’auras voulu ». Ces mots se répétèrent dans ma tête. C’était la deuxième fois que je les entendais aujourd’hui. Et ces deux moments étaient sans aucun doute les pires de ma vie. C’est ce qui me fit réagir. Ce qui me fit comprendre. Je n’allais pas me laisser assassiner !
Le Thug allait m’empaler. Il envoya son épée en avant, juste au niveau de mon abdomen. Très vite, ma main droite intercepta celle qui tenait l’épée, l’arrêtant nette. Une seconde de plus et j’aurais pu être comparé à une brochette. Sans hésiter, je lui flanquai un coup de boule. La contre-attaque le choqua. Apparemment, il ne s’attendait pas à un tel retournement de situation. Je lui tordis le bras gauche, brisant ainsi les os de son avant bras. Il lâcha l’épée que j’attrapai aussitôt avant de la lui enfoncer en plein cœur. Son sang chaud coula à flot sur mes paumes.
Le Thug ne mit que quelques secondes avant de mourir. Son cadavre s’effondra brusquement sur le sol. C’était fini.
J’avais fait tout cela sans même réfléchir, sans même prendre conscience de l’acte.
Les yeux pleins de larmes, je fixai mes doigts pleins de sang en reculant jusqu’à heurter le mur derrière moi. Je compris la gravité de ce que je venais de faire.
J’avais tué ! Putain de merde ! J’avais tué ! Moi qui dénonçais l’infâme meurtre de mon père, même pas une heure plus tard, je faisais de même !
Je n’arrivai pas à y croire. C’était impossible ! Je ne pouvais pas avoir fait ça ! Ça faisait beaucoup de choses impossibles quand même…
Je m’en voulais terriblement. Un homme venait de perdre la vie à cause de moi. Bon, je savais que je n’avais pas eu le choix, mais quand même ! M’en remettrai-je ? Probablement pas…

Malgré l’acte terrible que je venais d’accomplir, mes yeux se posèrent tour à tour sur mes mains, puis sur le corps défunt du Thug. La tristesse disparu. Il fallait que j’assume.
C’était une sensation bizarre. Une sensation nouvelle, mais étrange. Mes larmes s’effacèrent.
Je me suis senti fort. En fait, ça me faisait plaisir. Et je ressentais ça avec plus d’intensité à chaque fois que je me disais que c’était moi qui l’avais tué.
Mais je ne voulais pas penser ça ! Nan ! C’était trop… morbide. Je n’étais pas comme ça, je n’étais pas de ceux qui éprouvaient du plaisir à tuer !
Mais pourtant… C’était inutile de refuser de l’admettre, puisque c’était vrai. Je ressentais du plaisir à avoir tué cet enfoiré de Thug !
Un sourire en coin s’afficha sur mon visage. C’était la première fois que je faisais usage de la violence, autrement que pour m’entraîner. Le regard que je posai sur le Thug se transforma vite en mépris. Il n’avait eu que ce qu’il méritait. Je l’avais tué ! Avec un sang-froid dont je ne me pensais pas capable, je déclarai à voix basse, rien que pour moi même :

- Cette sensation de puissance… C’est si bon…

*J’étais en train de changer, je le sentais. Je n’étais plus l’innocent petit Raven d’autrefois. Mon père avait raison : nous vivons dans un monde de violence. Alors il fallait que moi aussi, je sois violent ! Je me sentais vraiment puissant. C’était incroyable ! Cette sensation était magnifique ! Je ne m’en remettrai probablement pas, avais-je dit ? Et bien quand j’avais pensé ça, je devais être vraiment stupide ! Comment ne pas apprécier la puissance ?
Sans le moindre signe d’intérêt pour le Thug, je sortis l’épée de son thorax et la brandit devant moi, en regardant fixement le sang maculé dessus.

- Qui sera ma prochaine victime ?

Ma décision était prise. Je connaissais déjà la réponse.
Lentement, mais d’un pas assuré, je partis en direction de la maison où je résidai. Celle de mon père. Ou plutôt de Slim. Cet homme ne méritait plus que je le considère comme mon père. J’étais orphelin, à présent. Il l’avait cherché… Je devais lui montrer ce que j’étais devenu. Car s’il n’avait pas assassiné ma mère, je n’aurais jamais tué ce Thug, et je ne me serais jamais senti aussi puissant. Merci, Papa… Tu as signé toi-même l’heure de ta mort.
Je me sentis soudain observé. Je levai les yeux vers les fenêtres des habitations. Des gens regardaient par la fenêtre. Ils devaient certainement m’avoir vu assassiner le Thug.

- Il n’y a rien à voir ! leur fis-je sans vraiment y penser.

Je m’en foutais totalement d’eux. J’étais plutôt concentré sur ce que j’allais faire une fois arrivé chez-moi. Enfin, mon ex chez-moi. Je prenais vraiment mon temps pour marcher. Au bout d’une demi-heure, j’arrivai à une centaine de mètre de ma destination.
Soudain, j’entendis le bruit de sirènes se rapprochant dans ma direction. Des sirènes policières. Les témoins avaient averti la police. Incroyable, non ?
Même pas une minute plus tard, cinq voitures de police se garèrent tout autour de moi, m’encerclant parfaitement. Deux hommes sortirent de chaque véhicule avant d’aller se réfugier derrière en brandissant des armes vers moi.

- Ne bougez plus ! fit l’un d’entre eux. Des témoins vous on vu assassiner un homme. Nous allons devoir vous arrêter.
- Dis donc, lançai-je avec arrogance, dix hommes rien que pour moi ? Il doit vraiment y avoir beaucoup de crimes ici pour que l’on me sorte direct le grand jeu…
- Rends-toi, ou tu es mort !

Ils étaient vraiment pathétiques… Ils pensaient vraiment pouvoir m’arrêter ? Simplement en brandissant une bête arme ? N’importe quoi…
Je n’avais pas vraiment envie de m’en prendre à eux. Mais j’avais encore moins envie de finir derrière des barreaux ! C’est sans doute l’envie de puissance qui m’a poussé à agir.

- Vous me faites vraiment pitié… Jamais je ne me rendrai !
- Nous sommes plus nombreux et plus entraînés que toi, renchérit un homme, alors dépêche-toi de te rendre ! Sinon…

Plus entraînés que moi ? Qu’ils se renseignent ! J’étais sûrement plus entraîné que n’importe qui ! A part Slim…

- Sinon ? fis-je.
- Ou sinon nous…
- Ou sinon rien du tout ! aboyai-je.

Aussitôt, j’activai mon invisibilité et courus à toute vitesse derrière la barrière de vaisseaux policiers. En toute discrétion, je me plaçai derrière celui qui m’avait parlé.

- Où est-il ?! cria ce dernier.

Je me rendis visible en lui soufflant doucement à l’oreille :

- Ici…

Il poussa un cri de stupeur au moment même où je lui tranchai la gorge. J’étais vraiment énervé. A toute allure, je repassai à l’état invisible avant de me placer devant un autre policier en lui disant à voix haute :

- Je suis là…

Je lui plantai cruellement mon épée dans le ventre avant de repartir vers une prochaine victime en disant :

- Et encore là.

Il subit le même sort que les deux précédents. Je me précipitai vers un homme à l’opposé du précédent en lui sautant dessus. Il était à terre. J’enfonçai ma lame dans son corps innocent. D’un mouvement vif, je tailladai au niveau du ventre le policier juste à ses côtés.
- Je suis partout !!

Je redevins visible. Les cinq survivants s’étaient rassemblés. Ils faisaient une cible parfaite. Je lisais de la peur dans leurs yeux. Ils étaient terrifiés… et ça ne faisait que de me sentir encore plus puissant. Eux devaient lire dans mes yeux une démence totale et certaine. Ils devaient me prendre pour un fou… enfin, je l’étais sûrement.
Les policiers ouvrirent le feu dans ma direction, mais ils étaient si envahit par le stress qu’ils ne visaient pas convenablement. Loin de là d’ailleurs…Leurs balles passaient à un mètre de moi. Je saisis une arme sur le sol, et, à mon tour, je me mis à faire feu. Mais contrairement à ces minables, je visais bien, j’avais été entraîné pour ça. En deux coups, j’en tuai deux. Je courus vers les derniers en abattant tour à tour mon épée dans leurs corps.

Je venais de tuer onze personnes. Onze personnes en moins dans ce fichu monde. Ce monde cruel et incompréhensible par sa complexité. Mais cela me réjouit plus qu’autre chose. J’étais si bien en ce moment. Avant, je vivais dans l’ignorance. On ne peut connaître la vraie nature de la vie qu’après en avoir enlevé une… Je savais que ce que je pensais était terrible et mauvais, mais je m’en foutais royalement.
Lentement, je traînais l’un des corps jusqu’à la maison où j’habitais. Slim, à l’intérieur, ne pouvait m’entendre car la maison était insonorisée. Je trempai à présent mes doigts dans le sang du défunt et entrepris d’écrire un message en gros sur le mur. Un message adressé à Slim. Je devais prévoir l’éventualité qu’il me blesse et que je perde l’affrontement en n’ayant pour autre choix que de m’enfuir. On n’est jamais trop prudent…

Après avoir terminé, je me dirigeai vers la porte d’entrée et la défonça d’un simple coup de pied. De la vraie camelote cette porte, j’avais toujours dit à mes parents de la changer… ils auraient vraiment dû le faire. Slim était à quelques mètres de moi. Le simple fait de voir son visage m’énerva. J’entrai dans la demeure d’un pas décidé, et, furieusement, attrapai mon « ancien père » par la gorge en le plaquant contre le mur.

- Tu n’es qu’un salaud ! lui crachai-je. Une ordure infâme !
- Ra… Raven… Tu n’as rien compris.
- Oh que si j’ai compris ! Suffisamment d’ailleurs ! Tu es un assassin !
- Ecoute-moi…
- Non ! Toi écoute-moi !

Je resserrai mon étreinte, l’étranglant de plus en plus. Je devais le tuer ! Il fallait que je le fasse ! Je n’avais qu’à sortir mon épée et la lui planter dans ses immondes entrailles. Et tout serait fini ! J’allais le faire…
…et puis non.
Je n’en étais pas capable. Malgré toute la puissance qui emplissait mon corps, quelque chose me retenait de le tuer… les liens familiaux, peut être. Une infime partie de moi l’aimait encore. C’était mon père après tout. Mais jamais je ne pourrais oublier qu’il avait tué ma mère, même si je le voulais. Tout était de sa faute.

- Je suis bien trop faible pour l’instant… soufflai-je en retenant mes larmes.

Je n’aurais jamais pensé ça. J’avais tué toutes ces autres personnes sans hésiter, et là… je ne pouvais rien faire. Mais plus le temps passerait, plus mon envie de le tuer grandirait. C’est pourquoi je pris instantanément la décision de partir un moment.

- Je vais partir, repris-je, partir loin. Et quand je reviendrai, je serai plus fort…
- Raven…
- Ta gueule !! Ne m’interromps pas ! Si je suis revenu, c’est pour te passer un message !

Là, j’inventai complètement. Je n’étais pas venu pour lui passer un message, mais pour le tuer.
Je le toisai comme je ne l’avais jamais fait, lui montrant à quel point la haine brûlait dans mon corps, à quel point il méritait la mort. Je parlai en articulant chaque mot distinctement.

- La prochaine fois que je te verrais… Je te tuerais !
- Ne dis pas de conneries, Raven… Tu n’as jamais tué qui que ce soit…

J’aimais le voir se planter complètement.

- Erreur ! Tu as manqué le dernier épisode…

Je vis qu’il regardait ma chemise et ma veste, toutes deux tachées de sang.

- Qui… ? s’exclama-t-il. Qui as-tu tué ?!
- Excuse moi, dans la hâte et la précipitation, j’ai oublié de leur demander leurs noms !
- Leurs noms ? Tu en as tué combien ?! Dis-moi !
- A quoi bon ? Ça n’a pas d’importance !
- Tu es bien trop jeune ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu as fait !
- C’est là que tu te trompes. Je mesure très bien les conséquences de mes actes.
- Tu n’as que treize ans !
- Et alors ? Ça ne t’a pas empêché de tuer ma mère devant moi !

Là j’avais marqué un bon point. Je frappai le mur de ma main valide pour me vider de mes émotions.

- Tu ne peux pas… commença-t-il.
- Je ne peux pas comprendre ? Je sais ! J’ai très bien entendu ce que tu m’as dit tout à l’heure !

Je sentais bien qu’il aurait pu se défendre, mais la peur de perdre son fils l’empêchait de m’attaquer. Et aussitôt, je lui décrochai un magnifique coup de poing en pleine tête, le faisant s’étaler de tout son long. Je murmurai par pure provocation :

- Adieu…

Et sur ces mots, je sortis de la maison en m’emparant de l’épée de diamants soigneusement déposée sur une table. D’un seul saut, je montai sur le toit. C’était le moment d’observer.
Slim sortit presque aussitôt, il remarqua avec désarroi les cadavres de policiers. Cet imbécile devait penser que j’étais loin, et pourtant, j’étais juste au dessus de lui.
Il se dirigea vers le mur en sanglotant, c’était sur ce mur où j’avais écris avec du sang. Il pouvait y lire les mots :

« Ma vie entière a basculée,
Ma vie a été démolie,
Depuis ce jour où j’ai compris,
La cruauté de ce monde
Et son caractère immonde,
Depuis que tu l’as massacrée.
Je te traquerai,
Je t’exterminerai.
Je veux te voir mourir,
Comme je l’ai vu mourir,
A l’image de ce monde mort,
Dépourvu de bien,
Empli de chagrin,
Tu subiras le même sort. »

Ce poème, j’y avais réfléchis pendant tout mon combat contre les policiers. Finalement, j’étais content de ne pas avoir pu le tuer… Je voulais qu’il se sente tourmenté et désemparé. Il hurla soudain :

- Raven ! Reviens ! Un assassin n’est rien d’autre qu’une personne morte intérieurement, qui ne vit que dans le tourment de sa conscience ! Reviens ! Je te pardonnerai !

Qu’il me pardonne ? Mais j’en avais rien à foutre de son pardon ! Il m’agaçait plus que tout ! Je sautai de mon perchoir pour atterrir devant lui. Je le frappai d’un coup de pied qui le fit reculer d’un mètre.

- C’est faux, annonçai-je. Au contraire, je me sens vivre ! Plus que jamais ! Peut être que toi, tu vis dans le tourment. Mais moi, je me sens puissant. Et je vivrai pour cette puissance !
- Raven… Je suis désolé de ce qui t’arrive. Tu aurais vraiment pu devenir quelqu’un de bien.

Il avait raison. Je n’étais plus quelqu’un de bien. J’étais comme lui. Tel père, tel fils… c’est ce qu’on dit, non ?

- C’est vrai, peut être que j’aurai pu. Mais ce n’est plus le cas. Et à qui la faute ? A toi !

Il me fixa longuement.

- Ne cherche pas à me retrouver, lui dis-je, c’est moi qui te retrouverai !

Et, aussitôt, épée en main, je partis en courant vers la ville. Le laissant là, à ses méditations. Sur le chemin, je passai à côté des cadavres. Déjà, de nombreux corbeaux volaient en cercle au dessus d’eux et plongeaient pour picorer des morceaux de chair encore fraîche en croassant froidement. Il parait que, dans l’une des langues mortes terriennes, « Raven » signifie corbeau. Mon nom est peut être bien choisi… la noirceur de cet animal est assez proche de la mienne…
Grâce à ce que m’avais appris Slim, je réussis à voler un vaisseau sans difficulté. J’allais partir vers une autre planète. Et quand je le recroiserai, Slim sera un homme mort. Car après tout, il l’a dit lui-même, dans deux ou trois ans je serais aussi fort que lui. Alors, qu’est-ce que ce sera dans cinq ans ? ».

User image
Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons.



Commentaires (0)